Chronique Sexo – Mars 2022

Un monde rose et bleu, ou la socialisation sexiste à son meilleur
(Mars 2022)

Aujourd’hui, je vous raconte une petite histoire! Vous entrez dans un magasin que je ne nommerai pas, mais pour vous mettre en contexte, ça commence souvent par « Toys » et ça se termine par quelque chose comme « R’ us », et vous voilà devant, dans le coin gauche, une montagne de boîtes et d’emballages bleus : la guerre, la construction, les jeux vidéo et le sport; et dans le coin droit, une orgie de rose : poupées, ménage, cuisine, arts et maquillage. Dans mon histoire, on enseigne aux petites filles à être douces, généreuses, aidantes et sensibles et les garçons, eux, ce sont les durs, ils sont forts, courageux, batailleurs et sportifs, comme il se doit! Ça vous dit quelque chose? Et si on parlait des impacts de la socialisation sexiste et des stéréotypes de genre?

Personne n’y échappe, la société toute entière est soumise à des normes et à des stéréotypes quant au genre et au sexe. C’est d’autant plus frappant dans le monde des enfants, où les choix des couleurs, des vêtements, des jouets et même des histoires sont extrêmement ancré dans des stéréotypes tenaces.

Barbie et GI Joe, ou le dictat de la féminité et de la masculinité

Les jouets typiquement féminins mettent de l’avant la beauté, les compétences liées aux tâches ménagères et à la maternité. Avant même qu’elles aient atteint leur puberté, on apprend aux petites filles à mettre en valeur leur féminité et à vivre dans le regard et au service de l’autre. Les garçons sont plutôt encouragés à développer leur sens de l’action et de la découverte au travers des sports, de jeux faisant référence à la guerre ou à l’aventure. C’est sans parler des films pour enfant, ou devrais-je dire scénarios sexistes présentés à répétition, où les femmes sont (très généralement) soit princesse, mère ou fée et les garçons sont héros, méchants ou guerriers.

Si cela témoigne parfois des intérêts réels des petites filles et des petits garçons, on ne peut pas nier le message que cela envoie quand même quant aux rôles sociaux auxquels garçons et filles devraient adhérer.

Des traitements différents

Et si je vous disais que naturellement, à cause des normes sexistes profondément enracinées dans nos esprits, nous ne traitons pas de la même façon les enfants selon que ce soient des filles ou des garçons, qu’en penseriez-vous? Des études ont démontré que le sexe d’un enfant influence la manière dont on le perçoit et le traite dès sa naissance, en utilisant des mots différents pour le décrire, par exemple. Les petites filles étaient « belles », « douces », « petites », « délicates », alors que les garçons étaient « grands », « forts », « costaud », et ce même si les bébés impliqués dans l’étude avaient des poids et tailles similaires. Ce n’est qu’un exemple, il s’agit d’observer autour de nous la façon dont les adultes parlent et traitent les tout-petits pour se rendre compte de ces différences. Une fille se fait mal et pleure : on valide sa peine, on la console, on en prend soin. Un garçon : on lui dira généralement quelque chose comme « ne pleure pas » ou « ce n’est rien », qui a pour effet d’invalider ses émotions et l’encourager à les refouler. Avez-vous déjà vu un proche aborder une petite fille avec un jeu de lutte surprise, ou encore aborder un garçon en complimentant ses cheveux ou ses vêtements ? Pas moi.

Considéré individuellement, ça peut sembler anodin et avoir peu d’impact, mais combiné à une multitude d’autres comportements tout au long de l’enfance, leur influence devient importante et n’est pas sans conséquences.

Mais… pourquoi en parle-t’on ? En quoi est-ce mauvais ?

Les généralités à la base de ces normes et comportements sont plutôt sexistes et renforcent les stéréotypes sexuels. Cela peut avoir un impact sur le développement individuel dans  l’exploration des talents, des aptitudes et des intérêts. D’un point de vue social cela peut donner plus de pouvoir aux inégalités et iniquités basées sur le sexe qui sont déjà présentes. Dans la sphère relationnelle, les rapports entre les sexes et les attentes vis-à-vis de l’autre s’en retrouvent affectés.

À force de répétition, tous ces messages s’ancrent de plus en plus profondément jusqu’à déterminer, même une fois adulte, notre conception de ce qui est féminin ou masculin et les rôles qui y sont associés. Cela a un impact dans notre façon de nous définir comme homme et comme femme, dans nos interactions, dans nos choix de vie, et forcément dans notre sexualité. Lorsque les enfants grandissent et que leur sexualité évolue et se complexifie, d’autres dimensions telles que l’image corporelle, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’hypersexualisation entreront en ligne de compte et, vous le devinerez sans doute, elles sont également toutes affectées par les stéréotypes sexuels et la socialisation sexiste.

Pour aller plus loin et en apprendre plus sur les impacts sur les dimensions scolaires, professionnelles, juridique, de santé mentale et physique et les rapports amoureux, je vous conseille l’étude « Entre le rose et le bleu : stéréotypes sexuels et construction sociale du féminin et du masculin » du Conseil du statut de la femme du gouvernement du Québec (voir le lien dans les références).

Il est donc, de manière général, bénéfique de tenter de les combattre afin de réduire l’impact de ces stéréotypes sur nous et sur nos enfants, pour leur bien dans le présent, mais aussi dans le futur.

Comment s’y opposer

Prendre conscience de tout ce qui est genré dans le monde de l’enfance et des stéréotypes sexuels que cela soutient est déjà un excellent point de départ. Vous pouvez vous poser une question simple : est-ce que ce jouet implique les organes génitaux ? si non, il est aussi approprié de l’offrir à un garçon qu’à une fille, et si oui, ce jouet n’est simplement pas pour les enfants.

Plus sérieusement, on peut commencer par surveiller notre propre discours et les préjugés que nous pourrions nous même avoir et transmettre et être attentifs à ceux de leur entourage pour être prêt à les déconstruire. Grand-maman Thérese demande aux petites filles d’aller aider à faire la vaisselle ? C’est tout le monde qui y va, un pénis ne vient pas avec une exemption d’aider à la cuisine. Oncle Gilles propose aux garçons un tour de VTT ? On l’offre aussi aux filles, une personne possédant un vagin peut aussi aimer la boue et les sensations fortes. C’est souvent dans les petites choses que se trouvent les meilleures solutions. Dans les interactions du quotidien, dans les choix que l’on fait chaque jour pour notre famille.

Ensuite, et c’est le point qui est, selon moi, le plus important, il s’agit d’offrir les mêmes opportunités, sans égards au sexe ou au genre de l’enfant. Sans nécessairement offrir une éducation totalement neutre et non genrée, on peut les exposer à une variété aussi étendue de jouets, jeux, films, activités, sports, etc. afin qu’ils et elles découvrent leurs intérêts et talents sans être limités par une offre déterminée par leur sexe. Les suggestions de l’auteure (il m’arrive de me prendre au sérieux) : les livres d’Elise Gravel, auteure québécoise, cherchent souvent à déconstruire toutes sortes de stéréotypes. Les films Rebelle, Trouver Némo, Moana, Encanto, La reine des neiges et j’en oublie certainement une tonne, proposent autre chose que l’histoire classique de la princesse en détresse cherchant un prince charmant pour la sauver, sans non plus tout miser sur la performance ou la violence.

Finalement, l’éducation à la sexualité offerte à l’école jouera aussi un rôle dans la déconstruction des préjugés et des stéréotypes basés sur le sexe et le genre.

 

Descarries, F., Mathieu, M., Grenier, M., & Robichaud, S. (2010). Entre le rose et le bleu: stéréotypes sexuels et construction sociale du féminin et du masculin: étude. Conseil du statut de la femme, Direction des communications. http://www.scf.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/Stereotypes/resume-entre-le-rose-et-le-bleu.pdf

 

Gouvernement du Québec. (s.d.). Conséquences des stéréotypes sur le développement https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/enfance/developpement-des-enfants/consequences-stereotypes-developpement